top of page

Triptyque, partie 2

  • jmipop
  • 7 oct. 2020
  • 14 min de lecture

De l’intégration (essai)




Je pense toujours, peut-être parce que certains de mes amis suisses parlent ainsi, que je n’ai pas fait les « bonnes rencontres ». Je suis tombé trop loin de mon milieu de formation et de culture, et je suis tombé sur quelqu’un qui déraille. Mais de là à penser la généralisation qui m’est proposée quand on me dit que tous les Grecs sont difficiles, j’ai du mal. Pourtant quelque chose en moi... quelque chose ne peut s’empêcher de souscrire un peu au constat évoqué : le cumul de ces deux ans, du rejet ressenti, du manque d’intérêt, d’ouverture des gens que j’ai rencontrés ici. Mais je ne suis pas sûr que cela soit une spécificité de ce pays.

C’est une question qui me taraude depuis des mois : l’ouverture à l’autre. Je ne comprends pas qu’on ne s’intéresse pas à l’autre. Ça dépasse mes capacités personnelles d’entendement. En outre, j’ai besoin, ici, que quelqu’un s’intéresse à moi. Au moins une personne. Je m’en contenterais.

Faut-il mettre en lien ce manque d’ouverture avec les difficultés sociales ? Celles d’une société un peu trop fermée sur elle-même aussi ?

Je retrouve dans le peuple grec quelque chose du tempérament insulaire. La Grèce est au final majoritairement entourée d’eau : sur son pourtour ouest, sud, et est. Seul le nord la rattache à la terre. Elle me rappelle en ceci la position géographique de l’Inde, appelée d’ailleurs à cause de cela le « sous-continent indien » : un pays qui est en-dessous du continent et rattaché à lui par une seule frontière terrestre.

Il y a bien quelque chose d’un peu isolé et replié sur soi-même dans la manière de vivre des Grecs. On les entend parler beaucoup de la cuisine grecque, du climat grec, de la beauté du pays grec, des traditions grecques, de la politique grecque.

J’ai été parfois surpris, dans le milieu dans lequel j’ai fait mes premiers pas ici, de constater le manque de représentation de l’étranger dans le discours et les attitudes des jeunes grecs qui m’ont accueilli. Ils semblaient très souvent considérer que ce qui existait ici n’existait pas ailleurs. Que la manière dont on fait les choses ici est la seule manière qui soit de les faire : on met de l’huile dans la soupe par exemple. Je ne pouvais pas émettre un : non, on ne met pas forcément de l’huile dans la soupe, j’ai mangé toute ma vie des soupes sans huile. Mais cette objection ne semblait pas recevable car ici : on met de l’huile dans la soupe. L’exemple est trivial, mais j’ai retrouvé très souvent cette manière univoque de présenter les choses, de ne jamais se demander ce qu’il peut en être ailleurs. Et, face à un étranger, cette absence de questions, de recherche de la réalité de l’autre - comment cela se passe-t-il chez toi ? Avez-vous aussi ceci ou cela ? - m’a un peu choqué.

On ne sait jamais qui on a en face de soi. Un jour, lors d’un mariage auquel j’assistai en Suisse, un fort en gueule amateur de discours et de vins nous a généreusement saoulé de ses prétendues connaissances œnologiques lors de l’apéro. Il ne savait pas que parmi nous se trouvait un vigneron. Chaque fois que dans mon parcours professionnel j’ai animé une séance ou donné une formation, je me suis toujours astreint à ne pas oublier qu’il pouvait y avoir dans mon audience un vigneron : quelqu’un qui en sait peut-être plus que moi sur un sujet que j’aborde, et que donc je dois l’aborder avec prudence et humilité.

J’ai ainsi souvent été étonné ici du manque de référence à l’extérieur, du manque de connaissances de ce qui se passe dans les autres pays. Un peu comme si les Grecs que je rencontrais ne s’intéressaient presque uniquement à ce qui se passe ici. Pendant longtemps, j’ai pensé que peut-être cela tenait à un problème linguistique et culturel. La manière dont les choses sont formulées et dont elles sont dites est souvent, par un trait que l’on retrouve dans le tempérament méditerranéen en général, péremptoire et sans appel. Très affirmées. Mais il n’y a pas que cela. L’intérêt pour l’autre, pour l’ailleurs ne semblait pas une préoccupation majeure dans les discussions auxquelles j’ai assisté pendant deux ans, voire n’était pas considérés du tout. Comme si ces Grecs regardaient le lointain de loin, et s’occupaient davantage de l’ici et maintenant, objet de toute leur attention. Cette absence de regard vers l’extérieur est, à l’inverse, totalement étranger à ma culture.

Et il y a peut-être ici un lien à faire avec les difficultés sociales auxquelles est confronté le peuple grec.

Il y a ici une misère sociale qui n’est pas que sociale au sens de pauvreté et de marginalisation. La misère sociale est certes présente et visible dans les rues de la capitale chaque jour. A la misère sociale urbaine grecque s’en surajoute aujourd’hui une autre : la misère des réfugiés qui abondent dans certains quartiers de la ville.

Mais il existe une misère qui relève d’autres facteurs que la pauvreté et dont souffre le peuple grec. Comme le manque d’éducation d’une classe populaire très importante.

Cette masse populaire vote conservateur par méconnaissance, consomme sans retenue ce qu’elle peut - à savoir du vite fait et bon marché de mauvaise qualité (objets rapidement usés et que l’on jette tout aussi rapidement pour les remplacer par… les mêmes, et recommencer ainsi le cycle consommation-déchets sans se demander ce qu’il advient de ce comportement).

Il y a ici tout un peuple qui n’est jamais sorti de ses terres. J’ai rencontré des îliens qui n’ont jamais quitté leur île, des Athéniens qui ne sortent jamais de leur ville ou de leur banlieue, des Grecs qui ne voyagent jamais.

Tout cela concourt-il à la difficulté d’échanges et peut-il entraver la rencontre qui demande un intérêt mutuel ? Je vois aujourd’hui à quel point mon intérêt était unilatéral. Je ne pouvais pas le savoir. Je n’intéresse personne ici, c’est une certitude de longue date… deux ans maintenant.

Mais cela tient-il seulement au fait que je n’ai pas rencontré les « bonnes » personnes ? Ou y a-t-il quelque chose de vrai dans ce sentiment - partagé par les expatriés d’ici et par les Grecs qui sont partis et revenus - que le peuple grec est un peuple difficile et peu enclin à l’ouverture ?

J’ai trop longtemps pensé et me suis beaucoup accusé d’être seul responsable de ma non-rencontre avec le peuple grec. Je perçois peu à peu que toute la responsabilité de cet échec - si c’en est un …- ne me revient pas.

C’est un peuple qui a souffert. Et je ne parle ici que de ces quinze dernières années. La souffrance se voit dans la rue, sur ces visages. Les séquelles de la crise grecque, xième du nom, se voient toujours. Même si aujourd’hui la ville s’arrange : le centre est rénové de partout, repourvu de façades de luxe et d’apparat. Elles viennent déguiser la cité et renvoyer plus loin les millions de foyers précaires dans lesquels la vie ne brille pas de mille feux, de chic et de strass. Comme dans toutes les grandes capitales aujourd’hui, sans doute, dont les centres brillent d’abord pour les affaires internationales et les touristes, mais très peu pour la population native du lieu.

Il y a ici des gens, plein les rues, dont les troubles sont visibles. Les écarts de comportements se rencontrent souvent, les crises, une forme d’hystérie très présente et pas seulement due au tempérament très vivant des méditerranéen-nes. Des gens aux visages blêmes, blafards, cernés, refermés sur eux, des teints qui sentent le mauvais alcool, des yeux et des gestes qui disent l’abus de longue durée de médicaments. J’ai souvent pensé que beaucoup de ces gens-là seraient, dans mon pays, isolés en unité de soin, donc enfermés si l’on veut bien, médiqués, suivis. Ici, la psychiatrie est, somme toute, davantage intégrée dans la cité. Mais peut-être que cette mixité-là est aussi le propre de toutes les grandes mégalopoles. J’ai vu, et admiré ici, des caissières de supermarché gérer très bien les accès de crise et les troubles de certains clients, connus dans le quartier. C’est comme ça, on le sait et on fait avec, pour le bien de tous.

Prodromos[*], avec qui je discutais un jour, a dit de lui et ses compatriotes qu’ils étaient « difficiles, grincheux, aigres et rebelles ».

Plutôt que rebelles, les Grecs me paraissent résistants, strictu sensu, et réfractaires au changement. Ils ont résisté à de nombreuses crises politiques et économiques. C’est vrai dans toute l’histoire de ce pays, depuis des centaines d’année. Situé entre deux mondes, porte entre deux cultures, territoires stratégiques entre différentes économies, terre de renom revendiquée par diverses politiques nationales et internationales, la Grèce n’a jamais été indépendante. Elle a toujours subi l’ingérence d’autres puissantes nations. Elle s’y est donc habituée. C’est ainsi qu’aujourd’hui en pleine crise touristique due au COVID, elle attend l’aide de l’Europe pour compenser son déficit. Cette aide qu’elle considère due puisqu’il en a toujours été ainsi.

Et les Grecs retiennent sans doute ce qu’ils peuvent encore, refusant de changer leur mode de vie, qui est une de leurs richesses et, peut-être pour beaucoup, la seule. On les voit résister le plus longtemps possible à certaines injonctions européennes, freinant ainsi le changement amorcé. Cela même sur des gestes du quotidien devenus banals dans nos pays du nord, comme le port du casque en moto, ou l’interdiction de fumer dans les espaces fermés. Modes de vie aussi.

Un peuple sous tutelle donc, un peuple que l’on glorifie de son passé, et que l’on condamne pour son présent. J’ai parlé avec des Grecs qui m’ont dit leur honte, leur gêne, leur sentiment d’infériorité face à la croissance nord-européenne. Ils en rêvent pour leur pays comme d’un « american dream ». Ce qui pousse le petit peuple à consommer davantage car il faut avoir les mêmes vêtements, suivre les mêmes tendances, les mêmes modes, avoir les mêmes cafés et restaurants, les mêmes habitats, que ceux qui font rêver, là-haut dans le nord. La mondialisation renforce ce processus. La décoration d’intérieur nordique ici a la cote. Les femmes se décolorent les cheveux à outrance, car il faut être blonde pour être belle…. Les présentatrices des journaux télévisés sont un contre-modèle de la femme naturelle grecque : peroxidée (à faire paraître une scandinave brunette), lissée de peau et des cheveux, et un teint rendu aussi pâle que possible. Un look glacial dans le pays du soleil.

Pourtant toutes et tous restent grecs. Dans leur art de vivre, dans leur communication très directe et spontanée, dans leur célébration de la nourriture, de la musique, et de leur terre qu’ils aiment plus que tout et vers laquelle ceux qui sont partis veulent toujours revenir. Hier, je croise et parle un peu avec mon voisin : « Nous avons deux choses magnifiques ici : le climat et la nourriture ! » m’a-t-il dit en riant et me conseillant une taverne dans le quartier. Je ne me lasserai jamais ici d’un concert de la musique des grands compositeurs grecs. On y entend la foule qui chante, tout doucement, et on sent son frémissement de bonheur. C’est une communion. Ils l’aiment leur culture, ils l’aiment leur pays, et moi je les aime pour ça aussi. J’ai rarement senti cela en Suisse.

En Suisse justement, chez moi, n’y a-t-il pas aussi une masse populaire, sans trop de culture et d’éducation ? De gens dont les troubles sont manifestes et s’expriment dans la rue même sans retenue ? De gens repliés sur eux-mêmes et qui ne s’intéressent aucunement à ce qui n’est pas suisse et en Suisse ?

Pourquoi n’ai-je pas souffert de cette confrontation à une masse populaire chez moi, alors qu’ici cette masse me fait souffrir en ce qu’elle me prive de mon intégration rêvée depuis si longtemps ?

Est-il possible que je n’ai pas vu cette population-là dans mon pays ? Ou tout cela ne relève-t-il que de mon manque d’habitude de la vie dans une grande ville car, somme toute, chez moi les grandes villes n’existent pas ?

Deux questions demeurent :

- Mon problème d’intégration n’est-il que celui des rencontres, de ces catégories données par le langage commun de « bonnes » ou de « mauvaises » rencontres ?

- Y a-t-il une vraie différence entre ce pays et mon pays en termes des comportements des différentes classes sociales ?

Pour reprendre une autre expression du langage commun, je suis il est vrai « bien né » : non pas riche, mais dans un milieu qui n’a jamais manqué de rien. Très bien logé, accès permanent à la campagne, un chalet à la montagne, des vacances et des voyages, une nourriture abondante, une famille et un entourage éduqué, de qualité, qui ne se satisfait pas de ce que l’on dit mais qui cherche à comprendre toujours et à découvrir, des hautes études, des postes de travail intéressants. Du coup aurais-je vécu dans un microcosme privilégié et totalement fermé moi aussi ? Au point de n’avoir pas eu conscience de la différence ?

J’ai davantage connu l’autre peuple - celui du labeur, celui qui souffre d’un manque d’accès à la diversité des activités et des opportunités - à travers les différentes vagues d’immigration qu’a connu mon pays d’origine. Toutes ces populations arrivées chez nous pour faire les besognes les plus pénibles et souvent les moins rémunérées : d’abord les Italiens, ensuite les Espagnols, les Portugais, les Yougoslaves, puis après la séparation les Serbes, les Albanais, les Kosovars.

Je pense à mes parents, qui par leur travail ont rencontré des gens de toutes les origines nationales et sociales. Je pense à mon travail aussi par lequel je suis allé à la rencontre de gens de classes sociales et de milieux différents des miens. Et il y a une belle mixité en Suisse aussi.

Mais jamais, dans mon pays je n’y ai réfléchi en termes de catégories sociales rejetantes. C’est-à-dire qui rejetteraient l’autre. J’étais conscient des différences, des statuts qui séparent. J’ai rencontré ces différences, je les ai connues et apprises. Mon travail a toujours été un pont, une voie d’accès vers elles. Mais je n’ai jamais, moi, souffert du sentiment de rejet. Au contraire, de par ma fonction, je pouvais aller à la rencontre de tous.

Cet autre peuple, celui qui lutte, est partout. Mais les écarts ne sont pas manifestes partout de la même manière. La Suisse a également réussi à longtemps cacher sa misère. Et honnêtement le peuple suisse n’a jamais souffert de ce dont souffre la Grèce : la trahison répétée à son égard et à de multiples reprises de son gouvernement et l’ingérence permanente d’autres puissances politiques soi-disant bien pensantes car riches. En tant que ressortissant suisse, je ne sais pas ce que c’est d’être truandé par mes propres chefs d’Etat, et de devoir mener un combat pour survivre à cause de leurs tricheries, de leur mauvaise gestion, de leur enrichissement personnel, de leur désintéressement même des citoyens. Les chefs d’état de ma nation ont été élu démocratiquement. En Grèce, pendant trop longtemps, les dirigeants élus l’ont été par héritage autocratique et despotique, issus de castes privilégiées devenues honteusement traditionnelles. Au berceau même de ce que nous appelons la démocratie moderne.

Mon gouvernement à moi se sert abondamment dans mes réserves financières via l’impôt c’est vrai, mais j’en vois aussi le résultat : les routes, les écoles, les hôpitaux, les couvertures sociales, la protection des citoyens et de l’environnement. Pourquoi s’étonner que la plupart des Grecs, avant la crise, préférait déverser son argent dans les tavernes et les loisirs plutôt que de payer ses impôts ? Si payer ses impôts signifie enrichir une caste qui détient le pouvoir et ne rend rien au peuple, j’aurais moi aussi mis mon argent au profit de mon estomac et de mes vacances dans les îles.

Revenons à la masse : elle fait la différence. C’est sans doute une question de proportion. Je vis dans une ville de plus de quatre millions d’habitant-es. La moitié de la population de mon pays. Un tiers probablement seulement vit de manière aisée. Les deux tiers restant se répartissent entre une classe moyenne qui s’en sort et une classe très populaire qui survit. Le poids de ce peuple pèse sur moi, ici, quand je ne peux que constater les manques au niveau de l’éducation de beaucoup de Grecs. Elle pèse sur moi par l’absence d’ouverture qui peut la caractériser. Non pas à dire qu’il faut être riche pour s’intéresser à l’autre. Loin de là. Je fais le pari de rencontrer des gens riches ici qui seront tout aussi fermés que d’autres plus pauvres. Mais quand on doit survivre, le combat ne prend-il pas toute la place ? Une bonne partie des grecs ne serait-elle pas trop occupée à assurer son quotidien pour pouvoir s’intéresser à autre chose ? Les gens qui luttent pour vivre et néanmoins peuvent se nourrir de la différence en s’y ouvrant existent. Je pense aux paysans de l’île qui se montraient intéressés par mon « étrangeté ». Mais ceux-ci ont une dimension humaine et une humilité qui est plus rare, et ne se rencontre pas partout. Et qui peut-être provient aussi d’un lieu de vie très différent, loin de la multitude justement.

Tout ce que je dis ici peut paraître choquant, et m’être vertement reproché. J’essaye de cerner mon environnement avec les éléments de compréhension que j’ai à ma disposition. Comme toujours, j’en ai vu trop peu ou pas assez. Je confronte donc mon point de vue à ce que j’entends de la part des natifs locaux.

Cette question de la masse populaire me fait penser aux Etats-Unis, aux électeurs de Trump. A l’Inde aussi, le peuple de la rue, innombrable. On la rencontre plus fortement sur de grands territoires.

Mon pays à moi est petit, ses classes sociales le sont aussi. Et surtout, surtout, je n’ai jamais eu à m’y intégrer. Je suis un natif du lieu. J’avais ma place, toute faite, servie sur un plateau. Mes différences, car elles existent, n’étaient que secondaires, et ne remettaient pas en jeu l’entier de mon existence dans cette société.

Je suis « bien né » signifie maintenant pour moi que ma naissance m’a fait rencontrer, dans ma patrie, les « bonnes personnes », et elles ne sont de « bonnes » personnes que par le fait de ce qu’elles m’ont apporté, enseigné, et donné, tout au long de ma vie à leur côté. Elles ne sont pas les

« bonnes » personnes en raison de leur appartenance à une classe sociale ou à une autre, elles sont les « bonnes » personnes car nous avons construit ensemble, dans le partage et l’intérêt commun, une culture.

Aujourd’hui je souffre de ne pas trouver mes semblables dans ce pays que je pensais être fait pour moi. Je me suis ouvert à tout et à tous ceux que j’ai rencontré et je continue à le faire. Et je ne rencontre que des gens avec de grandes fragilités. Le dernier en dat, Stamatis, soigne et tient son alcoolisme à distance en s’abrutissant de travail, au point de ne pas pouvoir sortir pour un café de tout un week-end.

J’aimerais pourtant rencontrer ces gens ici capables de m’apprendre.

Je l’entends aux deux sens que la formulation peut recouvrir : qu’ils m’apprennent davantage qui ils sont, et qu’ils apprennent de même qui je suis.

Il n’y a que comme ça que l’on trouvera ce que l’on peut faire ensemble. S’entendre. S’aimer. Et enfin, partager. Mais pour le moment c’est encore comme si j’étais le seul à le vouloir et à le chercher. Est-ce donc à moi de leur montrer ? Comme tout se fait en forçant ici, faudra-t-il que je leur force la main à ce point ? Et comment fait-on cela ici ?

Aujourd’hui moi aussi j’ai adopté ces mots, ce langage, qui différencie les classes. Celui que j’ai entendu tant de fois dans la bouche d’autres Grecs. Je me disais alors qu’il était injuste de parler comme cela de ces gens, que c’était très jugeant. Aujourd’hui je le dis aussi, je dis : ces gens « pas éduqués », ces Grecs « difficiles », ces gens « fermés ». Moi aussi je distingue et je sépare maintenant. Parce que c’est une réalité. Celle de mon quotidien. Celle dans laquelle je me débats. Aujourd’hui moi aussi je commence à dire « il n’y a rien ici », « pas de possibilités ». Et je me demande ce que je suis venu faire là.

Je fais mon passage du mon rêvé, au monde désillusionné. Je traverse une période de désamour.

Donc j’avance.

Et je marche dans les rues d’Athènes.

Et je les regarde, et je suis pourtant, quelque part, toujours amoureux.

Et ça me rend toujours heureux.

Je vois toujours à chaque coin de rue, sur chaque terrasse de café, la manière qu’ils ont de socialiser, de se retrouver et toute la vie qui s’en dégage.

Mais je vois tout cela toujours comme un observateur. Comme quand j’étais un touriste.

Je regarde de l’extérieur, mais je ne peux pas entrer.

Pourtant c’est ici que je vis.

Je les aime toujours.

Mais j’ai perçu et vécu le danger, dans ma chair, d’être le seul à aimer.

J’aimerais tellement donner.

C’est dur de ne pas recevoir.

Mais je crois maintenant qu’il est encore plus difficile de ne pas pouvoir donner.

Je n’arrive pas à apporter quoi que ce soit à ces gens et à ce pays.

Le fait de ne pas trouver de travail renforce encore ce sentiment de rester à l’écart, de n’être rien, de ne servir à rien.

J’ai appris une limite, celle de ne plus me laisser être à l’abandon.

Je suis allé la chercher loin dans une relation à sens unique, loin seul sur un caillou au large du pays, loin dans les rues d’une capitale de millions d’habitant-es.

Je me dois le respect de mon intégrité. Le respect de mon parcours. Le respect de mes efforts. Je suis peut-être seul, mais je ne suis pas rien. J’ai failli en être convaincu ; on m’y a bien aidé. Et j’ai finalement failli à cette certitude.

Impressionnant comme ce petit à peut tout changer.

Athènes, je te veux encore. Voudras-tu de moi ?

[*] Tous les prénoms sont des prénoms d’emprunt

Post: Blog2_Post

Formulaire d'abonnement

Merci pour votre envoi !

©2020 par jmipopblog. Créé avec Wix.com

bottom of page